Au 238jour de sa grève de la faim en prison, Ebru Timtik est morte jeudi. L’avocate turque de 42 ans ne pesait plus que 30 kilos. Elle réclamait «un procès équitable» après sa condamnation, l’an dernier, à treize ans de prison pour «appartenance à une organisation terroriste». Une accusation devenue courante contre les différents opposants au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan.

Membre de l’Association des avocats contemporains, spécialisée dans la défense de cas politiquement sensibles, Ebru Timtik avait notamment défendu la famille d’un adolescent mort en 2014, des suites de blessures reçues lors des manifestations antigouvernementales de Gezi, à Istanbul. Les autorités turques accusent l’association d’être liée à l’organisation marxiste-léniniste radicale, DHKP-C, un groupe qui a commis plusieurs attentats et qualifié de «terroriste» par Ankara.

 

«Oppression systématique»

En dépit de la dégradation de son état de santé en juillet et d’un rapport médical sur le danger vital de son maintien en prison, sa libération avait été refusée. Elle avait juste été transférée dans un hôpital d’Istanbul, où elle est décédée. Une mobilisation internationale pour la sauver, des avocats et des défenseurs des droits, n’avait pas non plus fait plier les autorités turques. Le 11 août, à l’initiative de l’or­ga­ni­sa­tion Lawyers for Lawyers, des avo­cats des quatre coins du monde ont or­ga­nisé une confé­rence de presse pour alerter sur les cas d’Ebru Timtik et de son confrère Aytac Unsal, membre de la même association turque, également emprisonné et en grève de la faim depuis 192 jours.

A lire aussi Prisons : la Turquie développe «un modèle inhumain»

«Plus de 1 500 avo­cats ont été pour­sui­vis, 605 ar­rê­tés et 441 condam­nés à un total de 2 728 an­nées de pri­son pour ap­par­te­nance à une or­ga­ni­sa­tion ter­ro­riste ou dif­fu­sion de pro­pa­gande ter­ro­riste», avait indiqué Irma van den Berg, de Lawyers for Lawyers, lors d’une conférence de presse, le 11 août. «Leur cas est un exemple de l’op­pres­sion sys­té­ma­tique et de la persécution des avo­cats en Tur­quie, selon qui a observé que la si­tua­tion s’est si­gni­fi­ca­ti­ve­ment em­pi­rée suite au coup d’Etat man­qué de juillet 2016», avait-elle ajouté.

 

«C’est le droit qui meurt»

Le barreau de Paris s’était également inquiété, début août, de l’état de santé des deux avocats turcs en grève de la faim, appelant à la «mobilisation pour qu’ils puissent vivre et exercer librement». La semaine dernière, une dizaine d’avocates belges ont observé une grève de la faim de 24 heures, en soutien à leurs nombreux confrères turcs, à Ebru Timtik et à Aytac Unsal. «Dans les prisons turques, c’est le droit qui meurt», a tweeté Christiane Féral-Schul, présidente du Conseil national des barreaux français, vendredi matin, en apprenant la mort de l’avocate turque.

Ebru Timtik est loin d’être le premier cas de mort en prison en Turquie, suite à une grève de la faim.

En avril dernier, à deux semaines d’intervalle, la chan­teuse d’un groupe de mu­sique contes­ta­taire de gauche ra­di­cale, Grup Yorum, très connu dans le pays, et un militant de 28 ans, réclamant une révision de son procès pour «terrorisme», sont morts en prison.

Un portrait géant d’Ebru Timtik a été déployé, vendredi, à Istanbul, sur la façade du siège de l’ordre des avocats, tandis qu’une manifestation de protestation a rassemblé des centaines de personnes à proximité. Des rassemblements ont également été organisés devant les ambassades turques d’Europe.

«Partout où nous nous trouvons, faisons entendre la voix des avocates et des avocats emprisonnés dans les geôles d’Erdogan», ont lancé des avocats solidaires sur les réseaux sociaux. Des inquiétudes ont également été exprimées pour Barkin, sœur cadette d’Ebru Timtik, également avocate et emprisonnée à Istanbul.

 

Par Hala Kodmani